Livre qui fait réfléchir

Jean-Sébastien Trudel. Arrêtons de pisser dans de l'eau embouteillée. 2007.
Pourquoi nos voitures brûlent-elles de l'essence quand elles ne roulent pas? Pourquoi chauffons-nous notre eau 24 heures par jour alors que nous ne nous servons d'eau chaude que durant quelques heures? Pourquoi nos imprimantes et nos photocopieuses n'impriment-elles que d'un côté de la feuille? Pourquoi réfrigérons-nous nos frigos en hiver? La voiture de l'an 2000 consomme autant d'essence que la première Ford produite en série… il y a plus d'un siècle. Sa conception est inefficace car 87 % de l'énergie dégagée par la combustion de l'essence ne sert pas à faire tourner les roues. Elle est perdue, principalement sous forme de chaleur. Moins de 1% de l'énergie sert à déplacer le conducteur. Dans un monde où le profit est au centre des préoccupations, ce gaspillage est anormal.
Les aliments, consommés en quelques minutes, sont emballés de plastique et de métaux qui prennent des centaines d'années à se dégrader. Parmi les matériaux les plus utilisés pour les emballages, il y a le polyéthylène. Les usages que nous lui avons découverts relèvent parfois du génie. Les sacs plastique méritent notre admiration. Minces, légers, compacts et résistants (un sac peut porter jusqu'à 2 000 fois son poids!), ils sont une merveille de la technologie. Ils sont également très durables (4 siècles), ce qui fait de leur usage unique une aberration.
Quand on tire la chasse d'eau, c'est de l'eau embouteillée qui part dans les égouts. Les réservoirs de toilettes contiennent 28 bouteilles d'eau de marque Dasani (distribuée par Coca-Cola). Cette eau n'est pas une eau de source; traitée par la ville de Brampton, en Ontario, cette eau coule dans les robinets ou quand nous tirons la chasse d'eau.
À Montréal, 5% de l'eau traitée est consommée. Les 95% restants servent à remplir le réservoir de toilettes, à arroser les pelouses et à laver le linge, la vaisselle et l'entrée de garage. 40% se perd en raison des fuites dans un réseau mal en point.
Le mauvais design est présent partout autour : dans les produits, les procédés de fabrication, notre façon de concevoir nos modèles d'affaires et d'organiser nos sociétés. Ces pratiques viennent d'une autre époque. Il est temps de se questionner.
La révolution industrielle
Aucun ingénieur, politicien ou gestionnaire n'a décidé de concevoir un moteur, un réfrigérateur, un pot de yogourt ou une société inefficaces. Les pères de la révolution industrielle étaient ambitieux. Ils rêvaient d'un monde meilleur, d'une société où chaque individu pourrait choisir librement la façon dont il occuperait son temps. À partir de l'invention du moteur à vapeur, au milieu du XVIIIe siècle, il y a eut une succession d'innovations technologiques qui ont repoussé les limites du monde connu.
Hubert Reeves, astrophysicien québécois mondialement reconnu, pose un diagnostic alarmant. Ce n'est pas la Terre qui va mal. La vie sur Terre est robuste. L'avenir de l'espèce humaine est en cause. «Le sort de l'aventure humaine, entamée il y a des millions d'années, va-t-il se jouer en l'espace de quelques décennies?»
Prenons conscience des limites de la révolution industrielle - dont face à l'environnement. Les acteurs de la révolution industrielle ne sont pas à blâmer pour notre situation. Il faut se mettre à leur place : au tournant du XIXe siècle, la population mondiale fluctuait autour de 800 millions d'individus (elle est aujourd'hui de 6,5 milliards), et les ressources naturelles paraissaient inépuisables.
Nous sommes arrivés au bout du chemin sur lequel nous nous sommes engagés avec la révolution industrielle. Le modèle de développement qu'elle a vu naître a servi l'humanité, en améliorant les conditions de vie, la sécurité alimentaire, l'espérance de vie. Mais en ce millénaire, ce modèle atteint ses limites. S'il persiste, c'est justement parce qu'il a connu tant de succès dans le passé. Ce succès est dépassé.
Le modèle de développement actuel est fondé sur la croissance illimitée. Le produit intérieur brut (PIB) doit toujours croître. C'est impossible, parce que cette croissance requiert la transformation de ressources limitées.
Très jeune, je m'amusais dans mon carré de sable à remplir des seaux, que j'allais vider un peu partout dans le jardin. Après un certain temps, il n'est plus resté de sable dans mon carré. Il était irrécupérable, dispersé dans des trous, sous des roches et autour d'arbres. Ç'a été la fin du carré de sable ; mon père l'a démonté. Nous faisons subir le même sort à nos ressources : elles deviennent irrécupérables, dissoutes ou dispersées dans des sites d'enfouissement, dans l'air et dans l'eau.
Ces problèmes ne peuvent être ignorés. Pour les humains, c'est une question de santé et de qualité de vie. Pour les entreprises, c'est une question d'image à court terme. Dans peu de temps, ce sera une question de survie. Pour les gestionnaires, c'est une question de responsabilité. Ceux qui en doutent n'ont qu'à regarder combien le droit de gérer des entreprises est remis en cause.
Les économistes de l'ancienne école, comme le prix Nobel Milton Friedman, soutiennent que ce n'est pas le rôle des entreprises de s'occuper de l'environnement et des conditions sociales. Si cette affirmation a été vraie, elle l'est moins maintenant. Une des phrases célèbres du gourou financier Warren Buffett révèle la réalité du marché : «Nous avons les moyens de perdre de l'argent - même beaucoup d'argent. Mais nous n'avons pas les moyens de perdre notre réputation, même une parcelle de réputation», répète-t-il régulièrement.
La première évolution industrielle
Le développement durable ne s'inscrit pas dans une approche contestataire. On ne verra pas les altermondialistes prendre en otage les CA et renverser par les armes les PDG de multinationales. On ne verra pas non plus le président de Greenpeace occuper la fonction de premier ministre du Québec à la suite d'une guerre civile.
Le développement durable est une évolution naturelle, nécessaire, du modèle capitaliste.
Il serait plus juste de parler de la prochaine révolution industrielle comme de la première évolution industrielle. Le changement ne se fera pas dans la rupture avec le modèle actuel, mais dans la continuité. Même les purs et durs du développement économique n'y échappent pas : la prochaine évolution industrielle est inévitable. Les sept facteurs suivants expliquent pourquoi. Certains montrent qu'elle est commencée : changements climatiques, fin du pétrole abordable, investisseurs responsables, consommateurs éthiques, responsabilité élargie des producteurs, rareté de ressources, population vieillissante.